Je viens de recevoir un tout nouveau Schéma départemental des espaces naturels sensibles (2013-2022). Par rapport à la politique conduite jusqu’à présent, qui reposait sur des orientations datant d’une quarantaine d’années et en partie obsolètes, le changement est appréciable et devrait donner un nouvel élan à cette politique. Toutefois, on remarque que la priorité manifeste donnée aux objectifs écologiques (préservation de la biodiversité, trame verte et bleue…) va de pair avec une faible attention portée aux besoins du public, en particulier urbain. Les critères de sélection des espaces naturels sensibles (ENS) sont en effet les suivants :
« 1- Identification des sites à partir :
a. des zonages règlementaires et d’inventaires (ZNIEFF de type 1, sites Natura 2000, ZICO, sites inscrits, sites classés, arrêtés préfectoraux de protection de biotope, etc.).
b. des périmètres recensés lors d’études naturalistes, d’études d’impact de projets, de diagnostic territorial, etc.
c. des secteurs proposés par des partenaires naturalistes (naturalistes indépendants, associations naturalistes, opérateurs Natura 2000).
2- Caractérisation et hiérarchisation des sites selon une méthode qualitative comportant 7 critères :
a. 3 critères prioritaires : intérêt écologique, intérêt biologique et/ou géologique et intérêt paysager.
b. 4 critères non prioritaires : connectivité écologique, vulnérabilité, intérêt touristique et potentiel de mise en valeur, intérêt à l’éducation et sensibilisation à l’environnement. »
La question de la valeur d’usage par le public apparaît en fin de liste et en tant que « critère non prioritaire », l’intérêt touristique étant cité en premier, suivi de l’intérêt pédagogique. Cela signifie que l’on ne s’occupe pas de savoir si, en périphérie des villes du département ou même de bourgs ruraux (voir Quelle chance on a d’habiter à la campagne !), il n’y a pas des problèmes de carence de l’offre d’espaces naturels publics. Il n’existe aucune étude permettant de savoir si de tels problèmes se posent et dans quels secteurs, et il n’est apparemment pas prévu d’en réaliser. Peut-être la réponse serait-elle que l’offre d’espaces naturels de proximité relève des communes ou des groupements de communes, alors que la politique foncière de protection de la biodiversité est prise en charge par le Département ? Mais est-ce écrit quelque part ?
Même si l’on se réjouit de voir les politiques d’ENS s’orienter vers la protection d’une biodiversité longtemps négligée, on peut s’inquiéter que cette évolution se fasse aux dépens d’une générosité sociale qui inspira à la fois, dans les années 1970, la création du Conservatoire du Littoral et la politique des ENS. On est bien obligé de constater que si les thèmes naturalistes sont aujourd’hui portés par des groupes de pression influents et dotés d’un pouvoir d’expertise reconnu, les thèmes à caractère social gravitant autour de l’accès à la nature ne sont pas défendus par grand-monde, hormis des associations locales de randonneurs, et que l’expertise en la matière est pratiquement nulle. Alors que les inventaires écologiques et les espaces naturels « à statuts » se sont multipliés, on n’en sait guère plus qu’il y a 40 ans sur les secteurs où il y aurait une demande sociale pour des espaces naturels de proximité, ou encore des problèmes de carence ou de mauvaise répartition de l’offre.
En « mettant le paquet » sur les thèmes naturalistes, on est bien dans l’air du temps, et on respecte la nouvelle rédaction de l’article L 142-1 du code de l’urbanisme, qui encadre les politiques d’ENS. Mais cette approche n’est pas tellement « durable » si elle laisse de côté la dimension sociale des politiques foncières d’espaces naturels. Le fait qu’il n’y ait pas de données disponibles sur ce sujet et que presque tout reste à connaître devrait conduire non pas à délaisser le sujet, mais au contraire à s’y intéresser davantage. La méthode des sociotopes, mise en œuvre à l’échelle de territoires de SCoT par exemple, pourrait apporter des informations utiles.
Date de l’article d’origine : 31 janvier 2013