Puisqu’il était question ici de cinéma ces derniers temps, autant continuer sur la lancée et s’intéresser non plus aux sociotopes urbains (rues, squares, terrains de jeux…) mais aux espaces naturels, et plus précisément à la « trame verte et bleue », qui est très tendance en ce moment. Pas vraiment à celle de la loi Grenelle 2, avec ses comités de pilotage, ses schémas régionaux de cohérence écologique et ses connectivités éco-paysagères ; mais plutôt à une nature vécue.
Le film auquel j’ai pensé immédiatement est « La nuit du chasseur », de Charles Laughton (1955), dans lequel un sinistre pasteur (Robert Mitchum, avec HATE et LOVE écrits sur ses doigts, vous vous rappelez ?) cherche à circonvenir une veuve qui vit avec ses deux enfants. Au cœur du film, alors que le pasteur s’apprête à tuer les enfants et que l’angoisse est à son comble, tout bascule. Les enfants courent vers la rivière pour échapper à leur poursuivant, montent dans une barque, et c’est là que débute une extraordinaire séquence dans laquelle on voit la barque dériver lentement entre les roseaux et les arbres, sous le regard d’animaux (une grenouille, une araignée, des lapins, un renard…). La lune scintille sur la rivière, la petite fille chantonne « Once upon a time, there was a pretty fly… » et tout baigne dans une atmosphère de rêve.
Cette nature sauvage, qui fait tellement peur à beaucoup de grandes personnes, va ici protéger et apaiser les enfants, leur apporter un répit par rapport au cauchemar qu’ils viennent de vivre « en vrai ». On n’est pas dans une « fable écologique », il n’y a pas de message moralisateur, juste le rappel que la nature, souvent impitoyable avec les humains, peut parfois aussi jouer un rôle d’abri temporaire contre la violence du monde des hommes ; et qu’elle est aussi nécessaire à notre imaginaire. Ce que l’écrivain Jean Guéhenno exprimait en célébrant dans ses souvenirs d’enfance (Changer la vie, 1961) « la forêt, qui environnait la ville, et que je sentais toujours près de moi comme une réserve de songes ». Il me semble que peu de films l’ont fait sentir avec autant de force.
Date de l’article d’origine : 14 janvier 2013