Il a été question ici récemment du bruit dans les espaces verts, avec une carte représentant les niveaux de bruit auxquels sont soumis les parcs et jardins de Stockholm. Ce sujet se retrouve en filigrane dans d’autres articles récents, tel que celui présentant le livre « On Looking » d’Alexandra Horowitz (Onze façons de marcher, et de voir la ville), ou encore celui sur les « espaces publics ordinaires » de Bordeaux, dont on devine qu’étant pour la plupart associés à des voies urbaines, ils peuvent être soumis à des niveaux de bruit élevés.
En fait, la question du bruit dans les espaces publics, et plus largement les espaces ouverts, ne se résume pas à des questions de nuisances sonores : il s’agit moins de savoir si un lieu est bruyant ou non que de savoir quelle est la qualité de son ambiance sonore. Pour réfléchir à ce sujet, il n’y a guère de meilleure lecture que le captivant et limpide ouvrage de R. Murray Schafer, intitulé « Le paysage sonore : le monde comme musique » (éditions Wildproject, 20 €). L’auteur nous amène à nous intéresser à la notion de rapport signal-bruit et à la manière dont des bruits individualisés (signal) sont perceptibles par rapport au bruit de fond dans un lieu donné. Il identifie ainsi des espaces « hi-fi », dans lesquels des bruits isolés (un oiseau qui chante, de l’eau qui coule, des enfants qui jouent…) peuvent être clairement perçus par rapport au bruit de fond. A l’inverse, on trouve aussi des espaces « low-fi » (une rue où passent des voitures, un parc longé par un boulevard périphérique…) où le bruit de fond domine l’ambiance sonore.
Il ressort de l’approche de Murray Schafer qu’un espace ouvert intéressant et agréable à vivre au plan sonore n’est pas nécessairement un espace silencieux, mais plutôt un territoire suffisamment à l’abri des bruits de fond urbains pour laisser s’exprimer des ambiance sonores spécifiques créées tant par des éléments naturels qu’humains. Protéger un parc contre les bruits de la circulation est un préalable nécessaire mais ne saurait constituer une fin en soi : un travail sur le « design sonore » de ce parc est ensuite utile pour lui permettre de développer tout son potentiel et offrir à ses visiteurs des expériences sonores riches, qui tendent à devenir rares dans un environnement urbain.
Date de l’article d’origine : 14 décembre 2015. Mise à jour du 27 mars 2020 : les restrictions de circulation liées au Covid-19 ont profondément transformé l’ambiance sonore de nos villes. Il y a quelques jours, un commentateur à la radio évoquait justement le passage d’une ambiance « low-fi » à une ambiance « hi-fi », qui permet notamment d’entendre les chants d’oiseaux, très actifs en ce début de printemps.