« Dans le zaïon, on se sent zaïon »

Le CERTU a publié récemment le texte d’une conférence d’Emmanuel Boutefeu donnée à Colmar en novembre 2002 sur le thème de la nature en ville. Ce texte contient un remarquable passage sur la perception des espaces verts par les adolescents ; vous y retrouverez, condensés en quelques lignes, bien des thèmes qui nous sont chers :

« Dans une enquête menée sur des jeunes « en difficulté » habitant la ville de Jouy-le-Moutier dans le Val d’Oise, la sociologue Sophie Laligant montre avec brio que le lexique du monde végétal et de l’environnement élaboré par ces jeunes est très éloigné de la typologie des espaces verts mise au point par l’Association des ingénieurs et techniciens de France (AITF) (voir Classer et recenser les espaces verts d’une commune).

– Aucun jeune interrogé (une trentaine de jeunes de 13 à 30 ans) n’envisage que leur ville puisse avoir une quelconque valeur paysagère. La ville n’est nullement considérée comme un paysage. À leurs yeux, la zone urbanisée de Jouy-le Moutier (cité pavillonnaire résidentielle, ville nouvelle, vieux village de Jouy-le-Bas) constitue un espace fermé synonyme de ghetto : « c’est comme un mur, il y a des barrières, des interdictions, il y a des endroits où tu ne peux pas aller. Le dimanche, c’est trop calme, il n’y a rien à faire ».

 – De même, les espaces verts de Jouy-le Moutier (squares, plaine de jeux, jardins publics) sont relégués au rang de décor. Les jeunes qualifient les espaces verts communaux de bouts de vert ou de terrains verts, voire de broussailles :
« Non, ces bouts de vert là, c’est pas la vraie nature. C’est un petit jardin pour décorer la ville, sans plus, pour faire joli ».

– Les terres agricoles limitrophes à la zone urbanisée (terrains maraîchers, champs cultivés, ferme-parc éducative) sont désignées sous le terme de terrains vagues. Les jeunes n’y stationnent jamais, « il n’y a rien qui se passe », affirment-ils en chœur. Cette expression n’est pas sans rapport avec la définition qu’en propose le Dictionnaire historique de la langue française (1992) : « une terre vide sans constructions et sans cultures dépourvue d’efficacité, inutile ».

En revanche, en périphérie des terres agricoles subsiste un bois municipal géré de manière extensive que les jeunes investissent en toute liberté. Ils l’appellent le Zaion, un mot d’origine jamaïcaine emprunté à une chanson de Bob Marley intitulée « Iron Lion Zaion » (1973). Les plus jeunes s’y rendent en groupe. Les plus âgés y vont seuls et forment des groupes sur place. Les filles n’y vont qu’exceptionnellement.

« Le zaion, c’est la nature, c’est la nature à l’état sauvage, c’est des petits chemins, des arbres qui poussent n’importe comment. C’est la nature qui fait son boulot. Dans le zaion, il n’y a pas de coins, ni de quartiers. On se balade partout. Dès qu’on va dans le zaion, on se sent zaion. C’est tranquille, il n’y a pas de bruit, pas de voiture, c’est le spirituel, c’est la nature, c’est ça qui nous donne la force, c’est important pour pouvoir respirer ».

Merci à Alain Mausset, architecte-urbaniste, pour la communication de ce document.

PS – D’après Wikipedia, « Zion est employé, par les rastafaris principalement, pour décrire une sphère spirituelle saine, le paradis sur Terre, une sorte de Nirvana des sens ».

Date de l’article d’origine : 21 novembre 2012

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