« Surtout, ne changez rien ! »

La « spontanéité créatrice des masses », c’est sympa, mais qu’est-ce qu’on fait lorsque les gens ne trouvent rien à redire à des espaces publics que nous autres individus éclairés par la Culture et les méthodes de Placemaking, trouvons complètement calamiteux ? La question m’est suggérée par nos séances de « micro-trottoir » à Montbéliard, durant lesquelles on a pu entendre par exemple « C’est très bien, rien à changer, il faudrait juste mettre des caméras de surveillance ».

Il me semble que trois hypothèses se présentent :

1) Il y a une adhésion du public aux qualités de l’endroit tel qu’il est, et on ne voit pas pourquoi il faudrait se croire obligé de changer les choses en adoptant l’attitude suffisante de Jean Cocteau quand il déclarait « le public aime ça, et il est bien le seul ». Encore faut-il que cette adhésion soit réelle, et pas seulement par défaut (« On fait avec », « C’est mieux que rien »).

2) Si les gens n’ont rien à dire, c’est peut-être parce qu’ils n’ont pas les mots pour le dire ou qu’ils sont inhibés par leur situation d’ « enquêté ». Je n’oublierai jamais ce propos tenu par un habitant de ma ville, lors d’une visite urbaine consacrée à un « partage de diagnostic » : « Vous nous demandez notre avis, mais c’est à vous, les experts, de nous dire ce qu’il faut penser ».

3) Même si un espace public plaît vraiment à ses usagers, les professionnels  n’ont pas à se taire systématiquement face à la « Vox Populi ». Sans tomber dans la caricature de « l’avant-garde cultivée apportant la lumière aux masses enténébrées », le professionnel est dans son rôle en suggérant qu’il puisse y avoir moyen de faire mieux, ou en se demandant par exemple pourquoi on ne voit jamais d’enfants dans tel square que les adultes des environs trouvent très bien pour sortir leur chien. En d’autres termes, si un espace convient à ses usagers qui prennent la parole dans les réunions publiques, convient-il aussi à ceux qui ne l’utilisent pas et qu’on ne voit pas dans les réunions ? La question est de savoir non pas s’il faut « faire le bonheur des gens malgré eux » (il paraît que c’est très très mal et que ça nous conduit tout droit au Goulag), mais si on est bien certain de savoir ce que sont « les gens », dans toute la diversité de leurs pratiques et de leurs besoins ? C’est là que l’enquête patiente et bien conduite prend tout son sens.

Date de l’article d’origine : 16 octobre 2012

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