En ces temps pré-électoraux [NB : l’article est de mars 2012, mais de toute manière on est tout le temps plus ou moins en période pré-électorale], il se trouve ici et là des gens qui déclarent parler au nom du peuple – un « peuple » qui est en l’occurrence une construction idéologique destinée à opposer les « vrais gens », dépositaires du bon sens, aux « élites » présentées comme coupées des réalités. Cela s’appelle du populisme.
Dans ce contexte, on peut se demander si les méthodes des sociotopes ou du Placemaking ne seraient pas un peu suspectes de populisme sur les bords, dans le cas où elles valorisent l’expression de la parole des habitants, aux dépens de celle de l’expert en urbanisme ou en paysage. Au surplus, la méthode des sociotopes est issue des travaux de William H. Whyte et du mouvement » Project for Public Spaces », dont le slogan est « the community is the expert » (1). On est dans le « bottom up », mouvement partant de la base en direction du sommet, ou, pour rester français, dans une sorte de basisme qui privilégierait l’expérience des gens de terrain par rapport aux théories fumeuses des Importants là-haut.
En réalité, sociotopes et Placemaking n’ont absolument pas pour objet ni pour effet de priver le professionnel de ses prérogatives en matière de conception et de réalisation. Ces approches font simplement intervenir en amont un travail d’observation et d’enquête, qui a pour but d’éclairer les parties prenantes d’un projet sur les enjeux en termes d’usages sociaux, et de proposer des pistes de solutions. Cela ne dépossède ni l’élu de son rôle d’arbitrage et de décision, ni le professionnel de ses compétences techniques. En revanche, il est parfaitement possible de prolonger une étude de sociotopes ou un Place Game par ce que les Américains appellent un « community design workshop », c’est à dire une sorte d’atelier public de travail sur l’urbanisme, où des professionnels forment des habitants à la composition urbaine pour les aider à concevoir eux-mêmes des quartiers ou des espaces publics. On est ici très loin du populisme, qui prospère sur l’ignorance et le désengagement.
(1) « Ce sont les gens qui utilisent un espace public régulièrement qui apportent les informations les plus précieuses sur la manière dont le site fonctionne. Ils peuvent aussi aider à identifier des problèmes importants à prendre en compte pour améliorer l’endroit. Découvrir et intégrer les idées et talents des usagers est essentiel pour créer des espaces collectifs qui vivent bien ». Cette formulation n’exclut ni l’intervention du professionnel, ni le pouvoir de décision de l’élu.
Date de l’article d’origine : 7 mars 2012