NB : cet article date à l’origine du 1er mars 2012. Je me rappelle très bien qu’en ces temps lointains, ce sujet était fort peu abordé dans les médias et il convient donc de lire cet article dans cette perspective. Les choses ont changé depuis, même s’il est malheureusement douteux que la situation ait beaucoup évolué sur le terrain.
Dans l’utilisation qui a été faite jusqu’à présent de la méthode des sociotopes, celle-ci ne s’intéresse aux catégories d’usagers des espaces ouverts qu’en termes de tranches d’âge (enfants, adolescents, adultes, personnes âgées) sans faire intervenir la question du genre (ou du sexe, si vous préférez). La question de savoir si les hommes et les femmes utilisent et vivent les espaces extérieurs de la même manière est rarement posée dans les études sur les espaces publics ; pourtant, elle se pose avec insistance dans la vie quotidienne des femmes. Pour en savoir davantage, la communauté urbaine de Bordeaux associé au laboratoire ADES-CNRS a produit en juin 2011 une étude très riche (et plutôt agréable à lire) intitulée « L’usage de la ville par le genre : les femmes ». Le rapport de 174 pages (accessible ici) comporte trois parties :
– la première traite de la place des femmes à Bordeaux et de leur mobilité dans la ville
– la seconde rend compte des entretiens qui ont été conduits avec des femmes réunies en « groupes focus »
– la troisième présente des analyses de sites tels qu’un espace de fêtes étudiantes, une station de tramway et un parc public.
Cette étude montre que contrairement à la prétendue universalité de notre modèle urbain, il existe une nette différenciation des usages de l’espace entre les hommes et les femmes et que dans la pratique, les lieux où existe en tous temps une réelle mixité d’usages ne sont pas si nombreux. Cette différenciation se traduit notamment par des phénomènes de présence ou d’absence dans certains lieux ou à certains moments, ainsi que par le fait que les femmes déploient consciemment ou non diverses stratégies pour surmonter leurs appréhensions dans l’espace public. L’étude met en évidence non seulement les fondements objectifs de ces attitudes, mais elle explore aussi l’imaginaire urbain féminin dans lequel s’entremêlent des notions complexes et contradictoires entre plaisir et difficulté, attirance et répulsion… ainsi que l’image que les femmes cherchent à donner d’elles-mêmes dans les espaces publics, sachant que cette image est fortement conditionnée par les codes sociaux.
Cette approche originale présente diverses similitudes avec celle des sociotopes – notamment parce qu’elle s’intéresse aux usages de l’espace par le biais de l’observation d’une part et de l’enquête d’autre part. Un de ses grands intérêts est de rappeler que l’espace public fonctionne pour l’essentiel en fonction de ce que nous avons appelé, ailleurs dans ce blog, les besoins du « mec normal », pour reprendre l’expression du regretté Coluche. Soit dit en passant, nous avons déjà effleuré le sujet à deux reprises : à propos du beau livre de l’américaine Rebecca Solnit intitulé « l’Art de marcher », dans lequel tout un chapitre est consacré aux femmes qui marchent en ville (cf Lecture : l’art de marcher, par Rebecca Solnit); et à propos des toilettes publiques, un thème qui a aussi pas mal de choses à nous dire sur ce qu’il en est réellement de cette « universalité » des espaces publics et sur la manière dont ils accueillent la moitié de l’humanité. Bref, je referme vite cette parenthèse pour vous engager à lire ou au moins à parcourir cet excellent travail.
Date de l’article : 1er mars 2012. Photo prise à Bordeaux.