C’est là un vieux thème de débats entre les « puristes » de la protection de la nature, pour lesquels le public doit se débrouiller avec les espaces naturels dans l’état où ils se trouvent, et les « aménageurs », qui ne conçoivent pas l’ouverture d’espaces naturels au public sans un minimum d’aménagements de sécurité, de confort ou d’information. Je me garderai bien d’émettre un avis sur la question, mais j’aimerais juste verser une pièce au dossier.
Dans une vidéo [lien disparu], Mme Renathe Späth, ministre de l’environnement du Land de Nordrhein-Westfalen, présente l’opération de renaturation d’une vaste friche minière sur la commune de Gelsenkirchen, dans la Ruhr. Après dépollution des sols, ce territoire a été laissé à son évolution spontanée et la forêt a progressivement pris possession des lieux. Rien de très original jusqu’ici (des opérations similaires ont été conduites dans le nord de la France) ; mais ce qui est moins banal, c’est que la plupart des installations (voies ferrées, bâtiments, équipements divers…) ont été laissées en place, certaines étant d’ailleurs réinvesties ou détournées par des artistes ; et qu’au surplus (voir la vidéo à 1’50), la doctrine en ce qui concerne l’accueil du public est de ne rien proposer à part des cheminements : pas d’équipements, pas d’activités, pas d’explications… « rien de ce qui se fait d’habitude dans les parcs ». Les gens font ce qu’ils veulent, comme ils veulent. Un peu plus loin (4’55), Mme Späth raconte qu’elle est allée présenter cette opération à des Italiens horrifiés, qui lui ont déclaré que « les parents italiens n’autoriseraient jamais leurs enfants à circuler dans une forêt comme ça ».
Cette dernière remarque m’intrigue. Comment se fait-il qu’en Italie, où l’on compte plutôt sur la divine Providence pour se protéger de ses imprudences, on ait un état d’esprit aussi « apparemment sécuritaire » dans un espace naturel, alors qu’en Allemagne, où l’on ne badine pas avec la sécurité, on autorise les enfants à jouer dans un site industriel à l’abandon ? Cela me rappelle les réactions de visiteurs français en Suède, stupéfaits de l’absence de dispositifs de protection le long des plans d’eau dans les espaces publics, alors que ce pays est réputé pour une préoccupation quasi obsessionnelle de la sécurité. Vous y comprenez quelque chose ? Une explication réside peut-être dans la culture de la responsabilité individuelle qui prévaut dans des pays marqués par le protestantisme : s’il n’y a pas besoin de barder les espaces publics d’interdits ou de les sécuriser à outrance, c’est peut-être parce que ces interdits sont déjà intégrés par les individus, que ce soient les parents ou les enfants eux-mêmes. La manière dont les enfants sont habillés et équipés avant d’être lâchés dans des espaces à risques en dit long à ce sujet (en Suède, on voit par exemple des enfants équipés de brassières de sauvetage courir sur des pontons et des quais le long des lacs ou de la mer).
Pour finir, une petite digression pour les naturalistes : la vidéo nous apprend aussi que les voies ferrées conservées sur le site ont servi de voies de dissémination pour une espèce de crapaud qui a repris possession des lieux. Comme quoi, contrairement à ce qu’on peut lire ici ou là au sujet de la trame verte et bleue, ces infrastructures ne sont pas forcément par nature et par définition des « coupures biologiques ».
Date de l’article d’origine : 24 février 2012. Photo du haut : auteur inconnu. Photo du bas : friche industrielle reconvertie en terrain de jeux à Zollverein, entre Gelsenkirchen et Essen.