Parmi les facteurs qui font l’attrait et le succès d’un site ou d’un événement, la présence de toilettes figure en bonne place, surtout si elles sont gratuites et propres et si le site se prête à accueillir du public plusieurs heures d’affilée. Les Britanniques l’ont compris depuis longtemps : leur pays offre en effet une densité sans pareille de toilettes généralement bien tenues, qui accueillent le visiteur jusque dans des espaces naturels reculés. C’est d’ailleurs un sujet de fierté nationale, qui fait l’objet d’un concours annuel et d’un site internet spécifique (www.britloos.co.uk) géré par la British Toilet Association.
Chez nous, il s’agit d’une matière qui est parfois prise avec des pincettes, si j’ose dire, et avec une bonne dose d’hypocrisie, par les gestionnaires d’espaces naturels. Jusqu’à une époque récente, on ne s’est pas toujours préoccupé des besoins physiologiques des milliers de personnes fréquentant certaines plages ; et aujourd’hui encore, l’installation de toilettes se fait toujours attendre sur des sites pourtant très fréquentés. Ce n’est qu’en 2004 qu’un décret d’application de la loi Littoral, votée 18 ans plus tôt, a précisé les conditions de recevabilité des sanitaires dans les « espaces remarquables », en indiquant notamment qu’il doit s’agir d’équipements démontables et « conçus de manière à permettre un retour du site à l’état naturel ». Non seulement ces toilettes précaires, révocables et réversibles ne sont pas si simples à réussir, mais de plus, certains gestionnaires d’espaces publics sur le littoral ne les admettent qu’avec de grandes réticences doctrinales, et souvent d’ailleurs sous la pression des élus locaux. Ces ultras de la protection de la nature doivent préférer les méthodes rustiques de la Californienne Kathleen Meyer, exposées dans son best-seller planétaire « How to shit in the woods » (1989), et font semblant de ne pas se rendre compte que ce qui peut se tolérer dans des immensités sauvages devient extrêmement désagréable dans des espaces très fréquentés.
Ce sujet a déjà été effleuré à deux reprises dans ce blog, une première fois (le 24 mars) à propos d’un pique-nique à Honfleur (il était question des « endroits où on peut » et de ceux « où on ne peut pas », voir Choses vues : sociotopes en Normandie), et plus récemment à propos d’un livre sur les coins de pique-nique à Paris, dont l’auteur oublie fâcheusement de mentionner la présence ou l’absence de toilettes publiques. Cette dame a pourtant dû remarquer que, pour des raisons encore mal élucidées, les femmes sont davantage utilisatrices de toilettes que les hommes, et qu’en conséquence, elles sont particulièrement portées à apprécier des lieux dotés de toilettes publiques fréquentables. A l’inverse, elles n’auront pas forcément envie de s’attarder sur des sites sans toilettes, tandis que les hommes, ces cochons qui lèvent la patte n’importe où, y verront moins d’inconvénient. On pourrait en conclure que le niveau d’équipement des espaces extérieurs en toilettes publiques est un révélateur de l’intérêt que la société porte au bien-être des femmes dans l’espace public. On comprend également pourquoi certaines études méthodologiques sur les sociotopes conseillent aux enquêteurs de solliciter en priorité le point de vue des femmes en ce qui concerne le confort d’utilisation des espaces extérieurs : elles sont apparemment mieux placées que les hommes, ces frustes créatures, pour se rendre compte de certaines carences et y proposer des remèdes.
Date de l’article d’origine : 9 août 2011