(Suite de la traduction de « The Social Life of Small Urban Spaces », de W.H. Whyte)
On pourrait penser que c’est une affaire de bon espacement. C’est vrai jusqu’à un certain point, mais cela n’explique pas tout. Notez qu’à aucun moment durant les périodes de pointe, les gens ne sont espacés de façon régulière sur les corniches, à la manière d’étourneaux sur un fil téléphonique, et que les gens qui s’en vont ne le font pas parce qu’ils se sentiraient personnellement à l’étroit. Dans certains endroits, il y a des groupes de gens assis très près les uns des autres; ailleurs, ils ont beaucoup d’espace autour d’eux. Cela s’observe même aux trois moments de pointe – 12h50, 13h25 et 13h50. Il reste suffisamment d’espace pour accueillir largement une demi-douzaine de personnes supplémentaires ; mais elles ne viennent pas. C’est comme si les gens avaient une sorte de sens instinctif de ce qui convient globalement à un espace donné, et coopéraient pour le maintenir ainsi, partant obligeamment, ou s’asseyant, ou ne s’asseyant pas, pour maintenir la densité dans ces limites. Le hasard peut aussi intervenir, par exemple quand quatre amis se pressent dans un espace quitté par trois personnes seules. Mais, dans la durée, le hasard tend à devenir la norme.
Quel que soit le mécanisme, il semble qu’il y ait une norme qui influence les choix des gens, tout autant que la capacité physique immédiate du lieu. C’est ainsi que se détermine la capacité effective ; elle n’est pas statique, et elle ne peut pas non plus s’exprimer seulement par des chiffres. Il y a également des aspects qualitatifs à prendre en compte – si les gens se sentent bien, s’ils partent vite ou s’ils s’attardent…-, et ils peuvent différer beaucoup en fonction des individus.
On pourrait même voir là une sorte de musique. Remarquez sur le graphique la montée en rythme des tirets juste avant 14 h. C’est un motif récurrent. Sur le terrain aussi, le rythme s’accélère : c’est le retour à la dernière minute des gens qui ont déjeuné tard. Puisque le graphique de l’occupation de Seagram Plaza ressemble tant à un rouleau de piano à musique, je me suis demandé quels genres de sons on aurait si l’on pouvait jouer tous les tirets et les points. Un ami compositeur en fut fasciné : « dans la bonne échelle tonale, disait-il, le graphique pourrait être orchestré et il deviendrait une musique ». J’espère qu’un jour, il deviendra : « Une journée dans la vie de la corniche nord de Seagram Plaza, Adagio ».

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