Date de l’article initial : 26 janvier 2011
A priori, la question paraît réglée dans la mesure où la méthode définie par A. Ståhle exclut les espaces fermés. Mais l’existence apparente de lieux de vie sociale dans une galerie marchande mérite qu’on s’y arrête et je vous propose d’y réfléchir à partir des analyses d’Henri Lefebvre. Ce grand philosophe (1901-1991), mondialement connu notamment pour ses travaux sur l’urbanisme, est l’auteur d’un livre intitulé « Le droit à la ville » (1968) qui vient d’être réédité (Economica / Anthropos).
Par certains côtés, la galerie marchande ressemble au centre ancien de la ville capitaliste : « le rassemblement des objets dans les boutiques, vitrines, étalages devient raison et prétexte de rassemblement des gens ; ils voient, ils regardent, ils parlent, ils se parlent. Et c’est là le terrain de rencontre, à partir du rassemblement des choses. Ce qui se dit et s’écrit, c’est avant tout le monde de la marchandise, le langage des marchandises, la gloire et l’extension de la valeur d’échange ».
Pourtant, « la résurgence urbanistique du centre commercial ne donne qu’une vision affadie et mutilée de ce que fut le noyau de la ville ancienne ; la valeur d’échange y prime à un tel point sur l’usage et la valeur d’usage qu’elle supprime à peu près celle-ci ». Les espaces publics de la ville classique, même s’ils ont été à l’origine conçus pour l’ornement ou l’apparat, sont sans cesse détournés et réappropriés par les habitants (amoureux qui s’bécotent sur les bancs publics, sportifs, manifestants, jeux d’enfants, SDF…). Ils participent à répondre à des « besoins sociaux anthropologiques » : « besoin de sécurité et d’ouverture, d’organisation du travail et de jeu, d’indépendance (voire de solitude) et de communication (…), de voir, d’entendre, de toucher et de réunir ces perceptions en un « monde ». Ils répondent aussi plus ou moins à des besoins plus spécifiques, « que ne satisfont pas les équipements commerciaux (…) : besoins d’activité créatrice, d’oeuvre (pas seulement de produits et biens matériels consommables), des besoins d’information, de symbolisme, d’imaginaire, d’activités ludiques ». Pour Lefebvre, « les besoins urbains spécifiques ne seraient-ils pas besoins de lieux qualifiés, lieux de simultanéité et de rencontres, lieux où l’échange ne passerait pas par la valeur d’échange, le commerce et le profit » ? Le centre commercial, quant à lui, est de ces espaces qui « tendent vers l’isotopie géométrique, rempli de consignes et de signaux, où les différences qualitatives des lieux et instants n’ont plus d’importance. Processus (…) qui produit la dérision, la misère mentale et sociale, la pauvreté de la vie quotidienne dès lors que rien n’a remplacé les symboles, les appropriations, les styles, les monuments, les espaces qualifiés et différents de la ville traditionnelle ».
Si l’on est convaincu par le regard d’Henri Lefebvre, qui a d’ailleurs inspiré Alexander Ståhle dans ses recherches, alors il est clair qu’une galerie marchande, même dotée de quelques bancs, ne constituera jamais un sociotope.